Charles Coste : Le doyen des champions enfin décoré
Son nom parle à peu, Charles Coste est pourtant l’ainé de toutes les stars du sport tricolore. A 98 ans, il est le plus ancien champion olympique français encore en vie, après avoir remporté la médaille d’or dans la poursuite par équipe en cyclisme sur piste, aux Jeux Olympiques de Londres en 1948. 74 ans après son titre, lui qui n’a jamais reçu la Légion d’honneur, a enfin été décoré le 13 avril.
Charles Coste est un champion de la grande époque du vélo. De cette époque où les stars françaises, de celles qui font rêver les enfants, n’étaient pas celles qui ont le ballon rond au pied, mais la pédale. D’une époque où les stades de foot étaient encore des vélodromes et le sport national le cyclisme. Pourtant, jusqu’à ce jour, il n’avait pas reçu la Légion d’honneur. Décernée d’office à chaque champion olympique depuis les Jeux de 1952, Charles Coste avait été titré une olympiade trop tôt. Un oubli réparé en ce 13 avril 2022.
« J’ai toujours dit à ma mère que je serai champion olympique”
Son année de naissance, 1924, date des Jeux Olympiques de Paris, était sans doute déjà un signe du destin. Un destin sportif qu’il a suivi : « J’ai toujours dit à ma mère que je serai général ou champion olympique » se souvient Charles Coste. Né à Ollioules, près de Toulon, le vélo est sa passion. De courses locales en régionales, il intègre tout naturellement le Vélosport Toulonnais en 1942. La guerre marque un coup d’arrêt aux courses, elles reprendront doucement à partir de 1944, c’est alors que son talent est repéré par l’élite des clubs cyclistes de l’époque : le Véloclub de Levallois “Le VCL c’était le meilleur club, le passage obligé pour devenir professionnel”. Son directeur sportif, Paul Ruinart, avait mené l’Equipe de France jusqu’au titre aux JO de 1936, et comptait bien faire de même en envoyant ses recrues aux Jeux de 1948.
Les victoires de la route se font par la piste
Adieu le Midi, bonjour Paris ! Charles quitte son poste d’ajusteur à l’Arsenal de Toulon et rejoint la capitale en 1946, prêt à travailler dur dans un club qui propose ce qui se fait de mieux en matière de préparation sportive. Il enchaine les entrainements et les courses, sur la route et la piste, l’une n’allant pas sans l’autre : “Paul Ruinart disait : les victoires de la route se font par la piste. Il avait raison, c’est à la vélocité qu’on reconnait un bon coureur. La piste ça te donne le coup de pédale”.

Une médaille sans Marseillaise
En 1948, Charles a 24 ans quand il décroche sa sélection pour les Jeux. Le monde se relève péniblement de ses blessures quand la ville de Londres se positionne pour accueillir les premiers Jeux de l’après-guerre. Les conditions ne sont pas idéales, mais peu importe, ces Jeux, les athlètes les ont trop attendus. C’est même pour eux que Charles Coste repousse d’une année son passage au statut de professionnel, éliminatoire à l’époque pour participer aux JO. Champion de France de la poursuite en 1947, son club lui conseille d’attendre : “On me disait, si tu es champion olympique, tu le seras toute ta vie” 74 ans plus tard, l’histoire donne plus que jamais raison à cette prédiction.
Avec ses coéquipiers, ils se rendent à Londres en wagon lit, puis en bateau. Ils arriveront après la cérémonie d’ouverture, peu importe, ce qu’ils veulent c’est la compétition et le titre ! L’équipe s’installe dans un ancien camp d’aviateurs américains, un village des athlètes n’a pas eu le temps d’être conçu à Londres : “La ville était encore sous les gravats et les tickets de ravitaillement. On dormait dans de petites chambres avec nos vélos entre les lits”.
Les Bleus s’élancent sur la piste de Herne-Hill, une piste en bitume très dure, mais que l’équipe de France connait bien pour y avoir déjà roulé plusieurs fois, elle en est même détentrice du record de vitesse. Charles est dévolu au départ, toujours, ensuite ce sont Fernand Decanali puis Pierre Adam, les rouleurs, et enfin Serge Blusson, le sprinteur. Parfaitement préparés, talentueux les Bleus écrasent la Suisse en quart de finale, puis la Grande-Bretagne avec fracas en demi-finale : “On était des pistards mais on avait l’endurance et la force de la route, alors que les Anglais eux ne faisaient que de la piste.” En finale contre l’Italie, les Français s’imposent à nouveau et décrochent l’or olympique le 10 août 1948. Ils reçoivent leur médaille dans un coffret “A l’époque on ne la mettait pas autour du cou”, ils tiennent péniblement à quatre sur la plus haute marche d’un podium à l’évidence par prévu pour. Ils attendront leur Marseillaise, en vain “Je crois qu’ils avaient perdu le disque.”

La plus belle des victoires, devant Coppi
Au retour des Jeux, en 1949, il passe professionnel et remporte dès sa première année l’une des plus grandes compétitions cyclistes de l’époque : le Grand Prix des Nations. 140.3km en 3h41’32’’, face aux meilleurs coureurs de l’époque et notamment « il Campionissimo » Fausto Coppi, l’un des plus grands coureurs de l’Histoire, et alors vainqueur du Tour de France et d’Italie. Pour Charles Coste, cette victoire sera la plus belle de sa carrière. Avec son 1m81, il est un grand coureur pour l’époque, il devient surtout un élève type de l’école Ruinart, taillé pour la compétition et les victoires : “J’étais un rouleur, un pistard, un poursuiteur. On s’entrainait à la Celle-St-Cloud, on passait toute l’année ensemble en camp d’entrainement avec les gars de l’équipe, on faisait des stages dans le sud et chaque hiver on partait trois mois au Maroc pour rouler là-bas. Je courais tous les dimanches au Vel d’Hiv, il y avait 15 000 personnes dans les tribunes, et pour les courses sur route c’était pareil, partout où on allait, il y avait un public fou.”
S’enchainent ensuite dix années de sport professionnel : Paris-Roubaix, dont il prend la 4e place en 1950, des participations au Tour de France (1952, 1957) dont l’arrivée se faisait à l’époque au parc des princes, au Tour d’Italie (1953, 1956, 1957, 1958), ou encore au Tour d’Argentine, où il décrochera le titre de meilleur grimpeur en 1952.
Quand Charles Coste évoque cette époque c’est avec des étoiles dans les yeux, il n’a rien oublié. Le vélo était le sport roi et Charles a évolué dans une décennie phénoménale, avec les meilleurs des meilleurs : Louison Bobet, Gino Bartali, Hugo Koblet…
Journal « Ce soir », 11 août 1948 Journal « ce soir », 8 octobre 1949 Journal « ce soir », 20 septembre 1949 Journal « La vie ouvrière », 6 avril 1950 Journal « L’Aurore », 20 septembre 1949
Une deuxième vie, loin du vélo
En 1959 il met un terme à sa carrière sportive, à regret : “C’était très difficile d’arrêter de courir”, il gardera toujours un lien avec le VCL dont il est encore le président d’honneur. Sa reconversion professionnelle se fera du côté de la Blanchisserie de Grenelle, alors la plus grande d’Europe. ll y est embauché en tant qu’inspecteur commercial et marketing et s’occupe de clients importants tels que des hôtels, restaurants, traiteurs… Le vélo devient un loisir, il continuera à rouler encore longtemps, pour le plaisir, mais plus avec son vélo de course “Je ne l’ai pas gardé, c’était un Olympic Alcyon blanc et noir qui pesait environ 8 kilos”. En 1986, c’est le départ à la retraite, avec sa femme Yvette, ils quittent Paris pour l’Oise, puis décident de revenir du côté de Paris, à Bois-Colombes où ils vivent toujours tous les deux. Charles suit le rugby et le vélo à la télé, en particulier Julian Alaphilippe “Pour sa combativité”, et Mathieu van der Poel, le petit-fils de Poulidor.
La légion 74 ans plus tard

Pour lui remettre le grade de Chevalier de la Légion d’honneur, Charles a choisi Tony Estanguet : « Je l’ai admiré comme champion et dans ses compétitions, il représente bien le sport. Et puis, c’est un gentleman. » Gentleman, un mot qui a tout son sens dans la bouche de Charles Coste. Quand Tony Estanguet a épinglé la décoration sur sa veste, il avait dans la tête et le cœur ses trois coéquipiers de 1948, aujourd’hui décédés : Pierre, Serge, Fernand. Ensemble, ces quatre-là ont marqué l’histoire du sport français. En 2022, Charles Coste nous rappelle la plus élégante des manières qu’être champion olympique, c’est pour toute la vie.